Laurent Toulouse, Versailles (France)
Présentation de « Une adolescence sous Hitler et Staline », Paris – 20 février 2023
Je remercie la maison d’édition L’Harmattan pour son invitation et surtout pour la traduction du témoignage de Michael Wieck.
Une entreprise de traduction est une tâche ardue. Il s’agit de trouver le mot juste, qui va permettre d’exprimer le message de l’auteur, et ceci au-delà des mots de l’auteur. C’est le grand art de la traduction.
De Wieck, il fallait transmettre le rythme de son témoignage, un rythme haletant, qui peu à peu, nous enfonce dans une tragédie, celle du XXe siècle. Merci à Mme Mersch d’avoir été la voix de Michael Wieck.
Mais, pour celles et ceux qui le peuvent, il faut recommander la lecture de l’original en allemand : ils découvriront une langue splendide, simple, élégante, musicale, celle de Michael Wieck.
« Une adolescence sous Hitler et Staline »…on entend déjà le commentaire et la critique : « encore un livre sur la seconde guerre mondiale ! »
Et pourtant…Permettez-moi de revenir sur un moment d’histoire. Lorsqu’à la fin de l’automne 1944, les Allemands reprennent pour quelques semaines les confins de Prusse-Orientale où vient de pénétrer l’armée rouge, ils découvrent les scènes atroces de massacres de masse, les viols systématiques. Ces images sont revenues en mars/avril 2022, dans les banlieues résidentielles de Kiev. Or, la grande différence entre les scènes de ces crimes, c’est que l’Ukraine n’a, à la différence du Reich hitlérien, jamais porté de projet de domination de la Russie, qu’elle ne l’a pas envahie et qu’elle ne nourrit aucun projet impérial au-delà de ses frontières. 1944-2022, 78 ans : le temps pour l’Europe de se reconstruire, de se construire politiquement, d’abord à l’ouest puis au centre et à l’est. Nous tenions tout ceci pour acquis. L’agression russe contre l’Ukraine nous prouve que tel n’est pas le cas.
Ce livre tombe donc à point. Il est essentiel pour au moins trois raisons :
- C’est un livre qui réconcilie nos mémoires, en pointant les deux catastrophes du XXe siècle, le nazisme hitlérien et le stalinisme soviétique. Cette réconciliation de la mémoire s’opère au fil des pages, tout naturellement. Wieck n’oppose rien, ne compare rien. Il témoigne de la barbarie. Et ce témoignage amène à un double rejet, celui de l’hitlérisme, et celui du stalinisme. Ce double rejet est fondamental. C’est lui qui fonde l’unité européenne, plus particulièrement depuis 2005, depuis que les pays qui ont eu à souffrir également des deux totalitarismes ont rejoint l’Union européenne.
- C’est un livre qui nous ouvre à ce qu’aurait pu être une paix européenne au XXe siècle si l’Allemagne avait joué le rôle de pont que lui avait donné sa géographie entre l’Occident et l’Orient de l’Europe. Ce rôle aurait pu être celui de Königsberg, métropole intellectuelle, multiculturelle, équidistante entre l’Allemagne rhénane et la Russie. Mais elle n’a pas joué ce rôle. A cause du nationalisme, le pont s’est transformé en forteresse. En nous faisant comprendre ce qu’aurait pu être Königsberg, ce livre nous laisse devant notre avenir : comment et à quelles conditions pourrons-nous reconstruire un pont entre nous et la Russie ?
- Enfin, c’est un livre puissant, qui nous ouvre à la possibilité pour l’esprit humain de résister à la barbarie. Vous n’y trouverez ni réquisitoire, ni thèse politique. Le livre de Wieck n’est pas
le « livre noir » du nazisme ou du stalinisme. Il est d’abord une histoire individuelle. C’est sa force : on croit d’emblée ce témoignage, qui nous rejoint à travers le regard d’un enfant, puis d’un adolescent, conservés intacts dans la mémoire de l’auteur. Pourquoi ce témoignage estil extraordinaire ? Parce que l’auteur, avec une économie de moyens magnifique, tisse un fil conducteur entre l’enfant qu’il a été et le survivant qu’il est devenu. Le lecteur comprend que le jeune Wieck n’a survécu qu’à raison des forces qui s’étaient déposées en lui depuis le plus jeune âge : absence de préjugés, aspiration au dépassement de soi, esprit de tolérance ; c’est tout cela qui à partir de 1945 et jusqu’en 1948 lui a permis un « vivre ensemble » certes tragique avec les soldats de l’armée rouge. Une école de la vie, effroyable, mais qui au terme du calvaire enduré témoigne du triomphe de l’humain.
Laurent Toulouse