Version française établie avec la collaboration de Stéphane Michaud
En 1724, à Königsberg en Prusse naquit Emmanuel Kant. Il y écrivit toutes ses œuvres et y vécut jusqu’à sa mort, en 1804. De toute sa vie, qui dura près de 80 ans, il ne vit que les paysages de la Prusse orientale et la seule ville de Königsberg. Ses lectures préférées étaient des récits de voyage, mais lui-même ne voyageait pas. Il trouvait à Königsberg tout ce dont il avait besoin. Il s’en est expliqué dans une note de la préface de l’Anthropologie du point de vue pragmatique :
Une grande ville, centre d’un État, où siègent les organes de gouvernement, qui, en plus d’une université (destinée à la culture des sciences), dispose d’une situation propice au trafic maritime, favorisant les relations par les rivières venues de l’intérieur aussi bien qu’avec les contrées extérieures limitrophes, de langues et de mœurs différentes — une ville de cette sorte, ainsi Königsberg sur la rivière Pregel, peut être considérée comme un lieu fait pour l’élargissement de la connaissance de l’homme autant que de la connaissance du monde, et où l’on peut acquérir cette dernière, même sans voyager (1).
Le fait que Kant ait passé toute sa vie en Prusse orientale a-t-il eu une incidence sur sa philosophie ? Karl Rosenkranz et Friedrich Wilhelm Schubert, éditeurs de la première édition de ses Œuvres complètes, répondent positivement à la question :
Nous mesurons parfaitement que la philosophie de Kant ne peut être pleinement comprise que si on la replace dans son milieu, c’est-à-dire dans l’histoire du siècle précédent et en particulier dans son rapport à la culture littéraire de la Prusse orientale et de Königsberg (2).
Rosenkranz a publié en 1842 un livre intitulé Esquisses de Königsberg. Au chapitre « Caractère général de Königsberg », il présente en ces termes l’essence de la ville :
Il me semble que le trait essentiel de Königsberg tient à une universalité gouvernée par la raison la plus lucide… La ville montre ainsi ses dispositions au progrès.… Dans son universalité, elle est en même temps d’une impitoyable rationalité… Cette rationalité, liée à son universalité, explique sa rare justesse de jugement… Que la philosophie critique soit née à Königsberg n’est donc pas le fait du simple hasard (3).
Kant lui-même a comparé sa méthode philosophique à la pensée de Copernic :
Il en est ici comme de l’idée que conçut Copernic : voyant qu’il ne pouvait venir à bout d’expliquer les mouvements du ciel en admettant que toute la multitude des astres tournait autour du spectateur, il chercha s’il ne serait pas mieux de supposer que c’est le spectateur qui tourne et que les astres demeurent immobiles (4).
Où donc a vécu Copernic ? À à peine 80 km de Königsberg, à Frauenburg. Copernic, au xvie siècle, et Kant, au xviiie siècle, regardaient tous les deux le ciel étoilé au-dessus de la Prusse orientale.
Königsberg (« Mont réal ») fut fondé par l’ordre des chevaliers teutoniques en 1255. Le dernier Grand maître de l’ordre, Albrecht de Brandebourg, en 1525 introduisit la Réforme et changea sur le conseil de Martin Luther l’État religieux en un duché laïc. En 1544, Albrecht fonda l’université de Königsberg. En 1618, l’Électeur de Brandebourg hérita du duché de Prusse. Après la Révocation de l’Édit de Nantes, le « Grand Électeur » Frédéric-Guillaume, qui régna de 1640 à 1688, accueillit les huguenots français tant à Berlin qu’en Prusse orientale et à Königsberg. À Königsberg, en dehors donc du Saint Empire où cela n’aurait pas été possible, le 18 janvier 1701, l’Électeur Frédéric III, fils du Grand Électeur, se fit couronner roi, sous le nom de Frédéric Ier.
Au début du xviiie siècle, la peste dépeupla de larges parties de la Prusse orientale. Le roi Frédéric-Guillaume Ier avait donc intérêt à y attirer des hommes et des femmes d’autres pays de l’Europe pour « repeupler » les contrées désertes. Il y eut des vagues d’immigrés : huguenots français, calvinistes suisses, protestants chassés de Salzbourg, Écossais. Ils se mélangèrent avec le reste des Prussiens autochtones, avec les Allemands, les Lituaniens et les Polonais qui vivaient dans certaines parties du pays. De cette diversité de peuples se forma la population homogène de la Prusse orientale.
Lorsque Kant fut, de 1747 à 1750, précepteur dans la famille du pasteur réformé Daniel Andersch, au village de Judstschen près d’Insterburg, il vécut au sein d’une population francophone. Son nom figure deux fois dans les registres paroissiaux comme parrain d’enfants nés à Judstschen. Le 27. 10. 1748, il est parrain au baptême de Samuel Challet, dont le grand-père avait en 1711 émigré de Moudon (canton de Vaud, en Suisse) vers la Prusse orientale. Le 8. 12. 1748, Kant est à nouveau parrain au baptême de David Pernoud, dont le grand-père était originaire de La Sagne (district de La Chaux-de-Fonds, canton de Neuchâtel en Suisse) (5).
Kant n’est pas le seul grand homme issu de Königsberg. Au xviie siècle, le poète Simon Dach y écrivit des vers et rassembla autour de lui un cercle de poètes et de musiciens. Johann Christoph Gottsched (1700-1766), le « pape » de la littérature allemande de son temps, est né et a étudié à Königsberg. Kant eut pour ami et adversaire à la fois son compatriote Johann Georg Hamann (1730-1788), dit « le mage du Nord ». L’écrivain et musicien romantique E.T.A. Hoffmann (1776-1822) était également un fils de Königsberg.
Königsberg a aussi donné naissance à des femmes célèbres : Käthe Kollwitz (1867-1945), peintre et sculpteur d’inspiration pacifiste et sociale ; la philosophe Hannah Arendt (1906-1975), fille de parents originaires de Königsberg, grandit dans cette ville à partir de l’âge de trois ans. C’est dans la ville de Kant qu’elle s’est initiée aux idées du philosophe. Elles devaient l’accompagner tout au long de sa vie.
En 1795, Kant fit paraître à Königsberg son opuscule sur la Paix perpétuelle. Même s’il considérait le règne de la liberté et la paix perpétuelle comme « un problème qui, solutionné peu à peu, se rapproche constamment de son but » (6), il était néanmoins conscient de la possibilité
… que toutes ces actions et réactions des hommes, dans leur ensemble, n’aboutissent nulle part à rien, à rien de sage du moins, que tout continuera comme par le passé et qu’on ne peut prévoir si la discorde naturelle à notre espèce ne nous préparera pas finalement, malgré l’état de civilisation, un enfer de maux, en anéantissant peut-être une fois de plus par une destruction barbare cette civilisation et tous les progrès que nous fîmes jusqu’ici dans la culture … (7)
La destruction barbare de la ville natale d’Emmanuel Kant fut achevée par le Groupe No. 5 Bomber Command de l’aviation britannique dans les nuits du 26 au 27 et du 29 au 30 août 1944, quelques semaines après les fêtes solennelles pour célébrer le 400e anniversaire de la fondation de l’université qui avaient lieu à Königsberg malgré la guerre. Pendant environ trois mois autour du débarquement allié en Normandie le 6 juin 1944, l’aviation britannique s’est employée à bombarder les villes normandes, ce qui a représenté une petite trêve dans le bombardement des villes allemandes. La première grande ville allemande à être détruite par les bombes explosives et incendiaires britanniques après ce répit fut Königsberg. Pour atteindre la ville des confins orientaux de l’Allemagne, les bombardiers britanniques survolèrent la Suède lors de chaque attaque, au mépris de la neutralité de ce pays. La justification officielle de ces bombardements était la suivante :
La cible des deux attaques était Königsberg, capitale de la Prusse orientale, vaste port, centre ferroviaire, et base des armées allemandes qui tentaient de contenir la progression des troupes russes, qui se trouvaient désormais à moins d’une centaine de miles de la ville. Des photographies de reconnaissance ont montré que les attaques ont été soigneusement concentrées sur le centre de la ville, détruisant nombre de casernes, de voies ferrées et d’entrepôts dans la région des docks : la surface détruite était considérable, proportionnée au poids des bombes lâchées (8).
Cependant les casernes, la gare centrale, les établissements industriels et les entrepôts du port ne se trouvaient pas au centre ville. Ils sont toujours debout aujourd’hui. Plus de cinq mille habitants de Königsberg périrent dans les flammes, 200.000 restèrent sans abri ; l’université, le centre-ville médiéval, la cathédrale et d’autres églises, le château, les musées (y compris le musée de Kant), des trésors culturels irremplaçables furent perdus à jamais (9).
Pourquoi, en août 1944, détruire la vieille ville de Königsberg – en évitant scrupuleusement tous les établissements à usage militaire — alors que Churchill, Roosevelt et Staline s’étaient mis d’accord, dès la conférence de Téhéran du 28 novembre au 1er décembre 1943, sur son annexion par l’Union soviétique ?
Il était clair, en août 1944, que l’Allemagne avait perdu la guerre et ne serait plus une grande puissance. L’Union soviétique prenait désormais sa place. Les Britanniques voulaient-ils éventuellement, en n’endommageant aucune installation militaire, permettre aux soldats allemands de combattre jusqu’à la dernière cartouche l’Armée rouge pour la tenir aussi longtemps que possible éloignée de l’Europe centrale ?
Le refus que Churchill opposa pendant près de trois ans aux exigences de Staline d’ouvrir en France un second front plaide en ce sens. « Un délai supplémentaire donnait à l’armée russe et à la Wehrmacht le temps de s’entre-détruire » (10) .
Un écrivain polonais a jugé la destruction de Königsberg par la Royal Air Force en ces termes :
Ce fut une absurdité terroriste ou une attaque antirusse coûteuse, dans la mesure où il était entendu depuis longtemps que cette région côtière reviendrait à la Russie (11).
L’expert militaire anglais B.H. Liddell Hart jugea que la stratégie britannique de faire la guerre contre l’Allemagne d’Hitler en bombardant les centres anciens des villes et les quartiers ouvriers
présentait ce paradoxe de tenter de sauver la civilisation européenne, en pratiquant la technique guerrière la plus contraire à la civilisation que le monde ait connue depuis les ravages mongols (12).
Le reste des troupes allemandes défendit les ruines de Königsberg contre l’armée soviétique jusqu’à la capitulation sans condition de la ville, le 9 avril 1945. Tous les soldats soviétiques qui prirent part à la prise de la ville reçurent une décoration qui portait la mention « pour la prise de Königsberg ». Au cours des trois années suivantes, sur les 120 000 civils allemands qui, à cette date, se trouvaient encore dans la ville, environ 100 000 moururent des suites d’actes de violence, de la faim et de maladies. Les survivants furent déportés en 1948 vers le centre de l’Allemagne (13) .
Le monument funéraire de Kant fut installé contre la cathédrale en 1924, lors des festivités du 200e anniversaire de sa naissance. Il se compose d’un cénotaphe entouré de treize piliers, qui portent un toit représentant le ciel étoilé. La cathédrale brûla lors du bombardement britannique du 29-30 août 1944. Le monument funéraire de Kant demeura intact ; il n’eut pas davantage à souffrir de la prise de la ville par l’Armée Rouge. Le centre ville de Königsberg était en ruines. Le seul monument qui ne fut pas détruit fut la tombe de Kant. Les autorités soviétiques ne nivelèrent pas les ruines de la cathédrale, car il leur aurait fallu supprimer du même mouvement le monument funéraire de Kant. Or Friedrich Engels et Vladimir Ilitch Lénine avaient eu des paroles élogieuses sur Kant. Les communistes le voyaient, à travers son « fils » spirituel Hegel, comme le « grand-père » de Karl Marx. Kant sauva ainsi, bien des années après sa mort, la cathédrale dans laquelle il fut baptisé en 1724.
Le 7 avril 1946, un décret du Praesidium du Soviet Suprême de l’URSS changea la ville de Königsberg et la partie septentrionale de la Prusse Orientale en « Königsbergskaïa oblast » (territoire de Königsberg) et les annexa à la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), une des quinze républiques socialistes soviétiques formant l’ex-URSS. Il y eut pendant trois mois, en 1946, une ville russe du nom de Königsberg. Le 3 juin 1946 mourut Michaïl Ivanovitch Kalinine, président officiel de l’Union Soviétique, en réalité un valet de Staline. Un mois plus tard, le 4 juillet 1946, un décret signé par Staline donnait à Königsberg le nom de Kaliningrad, et à la Königsbergskaïa oblast le nom de « Kaliningradskaïa oblast ».
Les esprits se divisèrent, en 2005, sur le nom à donner à la ville, à l’occasion des festivités du jubilé (750e anniversaire de sa fondation) (14). On tomba cependant d’accord pour fêter le jubilé de « notre ville », qu’on appela parfois « Kaliningrad/ Königsberg ». Le président Poutine utilisa aussi cette double appellation. Le 3 juillet 2005, il rencontra à la station balnéaire de Svetlogorsk (jadis : Rauschen), à 50 km de Kaliningrad, le président Chirac et le chancelier Schröder, lors de l’une de leurs rencontres régulières à trois qui devaient marquer l’importance qu’ils attachaient aux relations entre la Russie et l’Union européenne. Le président Poutine y déclara notamment : « Il est évident qu’un bon développement économique de Kaliningrad répond aux intérêts de tous nos partenaires européens. » Le lendemain, Poutine et Schroeder furent présents lors du dévoilement de la plaque indiquant que l’université de Kaliningrad porterait désormais le nom d’Emmanuel Kant. Le président Poutine expliqua que la présence du Chancelier lui semblait « tout à fait naturelle et compréhensible aux yeux de tout Européen. Dans l’histoire de Königsberg/Kaliningrad, nous savons quel a été le rôle de cet immense humaniste qu’était Kant, donc la présence allemande me semble naturelle. » (15)
En avril 2014, lors d’un entretien avec des professeurs et des étudiants de l’université Kant, Poutine leur déclara :
Si vous voulez connaître mon opinion, je crois que Kant peut et devrait être un symbole non seulement de votre université, mais en un certain sens celui de tout le territoire, de tout le Kaliningrad Oblast, et pas seulement de lui. Vous savez sûrement, comme spécialistes, que l’un de ses premiers travaux est le traité « Pour la paix éternelle ». C’est proprement la base, le premier essai pour poser les bases de l’union européenne après la Guerre de Sept ans. C’est le fondement philosophique, religieux et culturel des processus d’union. En ce sens, Kant est sans nul doute un symbole pour l’ordre actuel du monde (16) .
L’ancien presbytère de Judtschen (aujourd’hui Veselovka), où Kant vécut jadis comme précepteur, ne cessa au fil des années de tomber en ruine. On discuta de sa reconstruction pour en faire un musée Kant et un centre philosophique, mais sans résultat. C’est alors qu’une jeune fille de dix-sept ans, qui habitait le village, écrivit ce graffitis sur le mur de la maison : « Kant est une andouille ». L’apparition de ce graffiti obligea les autorités locales à constater l’état de délabrement avancé du bâtiment. Le cabinet du président Poutine au Kremlin approuva la reconstruction de la maison et transféra les fonds nécessaires à cette opération au musée des Beaux Arts de Kaliningrad, dont la « Maison de Kant » doit devenir la filiale. L’édifice doit être achevé en octobre 2017. Il doit accueillir un musée qui documente le séjour de Kant à Judtschen, rappelle le souvenir des habitants du village, Huguenots immigrés et Calvinistes d’expression française. Il comportera aussi des salles de conférences.
L’université Kant entend se préparer au 300e anniversaire de la naissance de Kant, le 22 avril 2024. Le monde, croit-on, regardera alors vers Kaliningrad. On discute de plans en vue de la reconstruction du centre ville, qui demeure un espace vide. Le seul bâtiment reconstruit est la cathédrale. Son orgue, construit par la société allemande Alexander Schuke, a été inauguré en 2008. Les frais ont été payés par le Kremlin, sur ordre de Poutine. Le buffet d’orgue ressemble à celui de l’ancienne cathédrale. L’orgue lui-même est le meilleur de Russie ; l’organiste titulaire de Notre-Dame de Paris, Olivier Latry, et l’organiste de Saint-Sulpice, Daniel Roth, y ont déjà donné des concerts.
Autour de la cathédrale se dressent des arbres qui ont été plantés sur les fondations nivelées des maisons du vieux quartier de Königsberg, Kneiphof, île formée par le Pregel. L’île de Kneiphof porte depuis deux ans le nom d’ « Ile Kant ». Un jeune éditeur de Kaliningrad a reçu de l’administration municipale l’autorisation d’ériger sur l’Ile Kant dix-sept stèles en béton de deux mètres de haut. Elles sont couvertes sur les deux faces de grandes photos, qui représentent exactement les maisons et les rues telles qu’on pouvait les voir auparavant à cet endroit.
Depuis quelques années, existent à Kaliningrad des tentatives pour faire battre à nouveau le « cœur de la ville ». On a ainsi commencé, à l’automne de 2014, par un concours d’urbanisme à deux étages, d’abord pour la construction du centre ville, qui a été remporté par un bureau d’architecture de St-Pétersbourg, puis pour la construction de l’espace jadis occupé par le château, concours remporté par un jeune architecte de Kaliningrad, qui travaille à Milan. Le jeune gouverneur, tout juste âgé de trente ans, nommé par le président Poutine, Anton Alichanov, s’est au demeurant récemment prononcé contre la reconstruction, fût-ce partielle, du château. La réalisation du projet de reconstruction du centre ville paraît problématique. Toutes les énergies se concentrent désormais sur la construction du stade qui doit être installé, pour trois ou quatre matchs des championnats du monde de football 2018, sur une surface encore vierge en bordure de ville.
Lénine et Kant ont, l’un et l’autre, leur anniversaire le 22 avril. Les membres du parti communiste russe, parmi lesquels on trouve nombre de retraités pauvres qui regrettent le temps de leur jeunesse en Union soviétique, se rassemblent ce jour-là devant le monument de Lénine, au pied duquel ils déposent des œillets rouges. Au même moment, se déroule chaque année à la cathédrale la fête en l’honneur de la naissance de Kant, à laquelle participent des représentants de l’université Kant, une délégation de la société internationale des « Amis de Kant et de Königsberg » et de nombreux habitants de Kaliningrad. À son issue, des fleurs sont déposées au monument funéraire de Kant. Le soir, les « Amis de Kant » invitent à un dîner. Ils renouent ainsi avec une vieille tradition, inaugurée en 1805, un an après la mort de Kant, par William Motherby, fils d’un émigré anglais ami de Kant, Robert Motherby. À son initiative, les amis de Kant se sont rassemblés là chaque année, au jour de son anniversaire, pour un banquet commémoratif. La tradition de la fête annuelle de l’anniversaire de Kant fait lien entre Königsberg et l’actuelle Kaliningrad.
Dans les rues de Kaliningrad on rencontre des autos qui, sous leur plaque d’immatriculation, en portent une autre plus petite où est inscrit Königsberg. Une chaine de boulangeries de Kaliningrad porte le nom allemand de « Königbäcker », une compagnie de bus celui de « Königauto » ; un restaurant s’appelle « Tante Fischer », comme une vieille auberge de Königsberg, et propose des plats de Prusse orientale ; un autre établissement présente sur sa carte des réclames extraites d’un guide russe de voyage de Königsberg antérieur à la Première Guerre mondiale, époque où de nombreux Russes visitaient la ville allemande ; un hôtel porte le nom germanique de « Kaiserhof » ; chaque kiosque propose des cartes postales avec des motifs qui se rapportent à Königsberg, et chaque librairie des livres illustrés sur le vieux Königsberg et des histoires qui s’y rapportent.
Il existe cependant beaucoup de Russes qui voient leur pays menacé parce que les États-Unis et l’OTAN sont désormais à leurs frontières immédiates. L’annexion de la Crimée en 2014 a enthousiasmé la grande majorité des Russes ; d’une certaine manière, ils l’ont considérée comme une réparation pour l’humiliation subie par la Russie lors de la guerre de Crimée, en 1856, et celles consécutives à l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Les sanctions décidées par l’Occident contre la Russie ont avivé la volonté de résistance du peuple russe. Le président Poutine et l’élite au pouvoir à Moscou exploitent à leurs fins les sentiments du peuple. Les parades annuelles de la Victoire, le 9 mai, et celles qui sont célébrées à Kaliningrad dès le 9 avril visent à montrer que la Russie est à nouveau une puissance mondiale et ne se laissera pas humilier davantage. Outre les parades de la Victoire, il y a depuis 2011 dans nombre de villes russes, et donc à Kaliningrad aussi, la marche de « l’immortelle armée » (bessmertny polk), dont les participants portent de grandes photos de leurs ancêtres qui ont combattu dans la Seconde Guerre mondiale, la grande guerre patriotique. L’organisation « Bessmertny polk » (http://moypolk.ru/) affirme être un mouvement de citoyens apolitique, non-commercial et non étatique. Chaque année, elle honore à nouveaux frais les héros de la victoire sur le fascisme, qu’il conviendrait d’honorer éternellement.
Les vaincus, il n’en est pas question. On n’exhibe guère dans rues de photos des anciens habitants de Königsberg ni des autres villes et villages de Prusse orientale. Comme c’était déjà le cas sous l’Union soviétique, l’histoire du territoire de Kaliningrad ne commence pour les patriotes russes zélés qu’en avril 1945. La prise de Königsberg est la victoire sur le fascisme ; on passe sur le terrible destin des habitants de Königsberg.
Vladimir Medinsky, né en 1980 et ministre russe de l’éducation et de la culture depuis 2012, est un représentant typique des nouveaux patriotes. Il préside la société russe d’histoire de la guerre (Rossiskoe voennoe-istoritsheskoe obshestvo, RVIO) fondée en 2013 et financée par l’État et des subventions privées. Elle honore les héros soviétiques de la guerre en apposant des plaques du souvenir et en organisant des voyages pour les jeunes aux « lieux de la victoire », ainsi que des camps de vacances au cours desquels les jeunes apprennent l’histoire de la guerre, les traditions militaires et sont formés à être de « jeunes combattants ». Medinsky a également écrit des livres. En 2011, il a publié La Guerre. Mythes de l’Union soviétique. 1930-1945, bestseller qui servit de base à la série télévisée diffusée pour le jubilé (les 70 ans) de la fin de la guerre. Medinsky livre dans son ouvrage la maxime qui gouverne son écriture :
Les faits eux-mêmes ne signifient pas grand chose. Pour le dire plus brutalement : en termes de mythologie historique, ils ne signifient absolument rien. Tout commence non pas avec les faits, mais avec leurs interprétations. Si vous aimez votre patrie, votre peuple, alors l’histoire que vous écrirez sera toujours positive (17) .
Pareille attitude se rencontre aussi à Kaliningrad. On en trouve l’expression depuis quelques années dans le combat que patriotes et communistes livrent dans les médias contre une prétendue « germanisation » du territoire. Ceux qui usent du concept de « germanisation » voient celle-ci à l’œuvre dans l’intérêt porté à l’histoire de la Prusse orientale, dans les panneaux publicitaires écrits en caractères latins ou gothiques, dans les noms aux consonances germaniques des entreprises, restaurants et cafés. Ils flairent des visées séparatistes derrière chaque référence à Königsberg. Au fond, ils cherchent à renouer avec les conceptions de l’Union soviétique, au temps où il n’existait que le Kaliningrad soviéto-russe et plus aucun Königsberg. Jadis « allemand » était un simple synonyme de « fasciste ».
Le gouverneur Anton Alichanov ne croit pas au danger d’une supposée germanisation. Il a déclaré ceci dans une interview à la revue Kultura, qui se présente comme « une revue politique et sociale pro-russe dans l’espace intellectuel de l’Eurasie russe » :
Je vis depuis plus d’un an et demi dans la région et puis assurer qu’une « germanisation », une « polonisation » ou une « métamorphose en extra-terrestres » sont ici également impossibles (18) .
Cependant plus les tensions croissent entre la Russie et l’Occident, plus les sanctions occidentales contre la Russie et les contre-sanctions russes durent, plus le crédit et l’influence des prétendus patriotes grandiront en Russie et à Kaliningrad. Un exemple montrera la tournure que peuvent prendre les événements.
La ville de Prusse orientale, à la frontière de la Lituanie, qui s’appelait jadis Tilsit (où l’empereur Napoléon, le tsar Alexandre Ier et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume conclurent en 1807 la paix de Tilsit) et porte aujourd’hui le nom de Sovietsk, est le berceau du poète Johannes Bobrowski, qui y naquit le 9 avril 1917. Sa famille s’établit en 1928 à Königsberg, où lui-même fréquenta le lycée de la vieille ville, fondé en 1525, et apprit l’orgue sur l’instrument de la cathédrale. Bobrowski fit la Seconde Guerre mondiale comme radio, avec le grade de première classe, fut fait prisonnier en Russie et dut travailler quatre ans comme prisonnier de guerre dans les mines du bassin du Donets. Il vécut ensuite comme lecteur dans une maison d’édition de Berlin-Est et commença à publier des poèmes. Il mourut prématurément en 1965.
Le 4 avril, Angelika Spilyova, directrice du Musée de Sovietsk/Tilsit, inaugura une exposition en l’honneur du centième anniversaire de la naissance de Johannes Bobrowski. Y étaient présents les consuls généraux d’Allemagne et de Lituanie, un député allemand du Bundestag et, naturellement, le bourgmestre de Sovietsk et le responsable des affaires culturelles de la ville, Oleg Vaschourine, supérieur hiérarchique de Mme Spilyova. Tous se félicitèrent de célébrer ensemble le poète que la Grande Encyclopédie soviétique de 1969 avait fêté comme un homme qui avait opposé au fascisme « les idéaux humanistes d’amitié entre les peuples ». Ses œuvres furent également publiées en traduction russe en Union soviétique, en 1970-1971.
Le lendemain de l’ouverture de l’exposition, Mme Spilyova reçut un SMS de son supérieur Vachourine, lui enjoignant de donner sa démission. Au prétexte que des citoyens de Sovietsk se seraient plaints de voir exposées des photos fascistes. Deux photos furent incriminées, qui montraient Bobrowski en conscrit pendant la guerre sous l’uniforme de la Wehrmacht, semblable à celui que durent porter des millions d’Allemands. L’une d’entre elles était sa photo de mariage en 1943. Ces mêmes photos avaient été déjà montrées dans diverses villes du territoire de Kaliningrad, à l’occasion du 95e anniversaire de la naissance du poète, sans que quiconque en prenne ombrage. Comme Angelika Spilyova refusait de donner sa démission, Vachourine menaça de la dénoncer comme « extrémiste » à la police secrète (le FSB, jadis appelée NKWD). Les deux photos de Bobrowski furent retirées.
Le but des patriotes auto-proclamés de Kaliningrad est de faire passer la région pour un territoire purement russe. Le jeune directeur de la télévision d’État Rosssiya-1 Kaliningrad, chaîne anti-européenne et fidèle à l’État, Nikolaï Dolgatchev (né à Kaliningrad en 1980, et nommé à ce poste le 31 mai 2016) est une des figures de proue du mouvement. Il a vécu enfant dans une ancienne maison allemande bâtie au bord d’une rue pavée. Pendant les années de famine de 1990, il a souffert comme jeune Russe d’humiliations lors de voyages en Pologne et en Lituanie, qui l’ont manifestement marqué pour la vie. Il a commencé sa carrière de journaliste dans des journaux locaux de Kaliningrad, changea en 2000 pour devenir correspondant de la télévision d’État de cette ville, et y il fut vite promu présentateur des nouvelles. Il passait pour sérieux et crédible. Le moment professionnel décisif fut sans doute la période qu’il passa comme correspondant dans le sud de la Russie. En 2014, il devint le directeur du bureau de la télévision d’État en Crimée, et à partir de l’été de cette année-là, il ne cessa de se rendre sur le front ukrainien à Slavjanka et Donets, côté russe évidemment. Dolgatchev a exposé ses vues Königsberg/ Kaliningrad dans une interview dont il vaut la peine de citer quelques extraits :
J’ai toujours considéré l’architecture locale comme une « prise de guerre ». Nous sommes les vainqueurs — nous sommes venus et avons été plus forts que ces pierres. Nos grands-parents les ont conquises, et nous avons maintenant le droit des vainqueurs, de régner dessus…
En ce qui concerne l’héritage de Königsberg… la ville a vécu sa vie, a mérité l’histoire qu’elle a eu, tout était bien, mais ensuite est venue la guerre, dont le destin a penché tantôt de-ci, tantôt de-là, et on a détruit la ville. Elle mourut. Son corps mourut et se changea en restes mortels. Seuls subsistèrent quelques os : … la cathédrale, l’administration de la FSB , le bâtiment de l’université et quelque chose encore. Mais ce ne sont que des os sur lesquels le nouveau corps de la ville de Kaliningrad a poussé. C’est une nouvelle ville. Il n’y a pas là de Königsberg…
Dolgatchev définit ainsi les missions de la télévision d’État de Kaliningrad et les buts qu’elle poursuit :
Pour moi, il existe deux forces politiques. En ce sens, je jette un regard simplifié, en noir et blanc, sur le monde : les forces qui souhaitent du bien à la Russie, et celles qui ont des buts opposés…
Après le « printemps de la Crimée », il y eut dans l’opinion publique une demande évidente de fonction patriotico-éducative. Ce que veulent les gens, c’est être fiers de leur pays. Et c’est cela qu’ils veulent voir à la télévision…
Si vous me demandez ce qui est pour moi le plus important, Kaliningrad et la Crimée, je réponds la Russie (20) .
La différence entre le point de vue des patriotes auto-proclamés et celui des habitants de Kaliningrad qui éprouvent du respect pour Königsberg et ses habitants s’est manifestée une fois de plus au début de 2017, lorsque, à l’occasion de travaux de construction, on a découvert les restes funéraires d’environ quatre-vingt personnes, vraisemblablement des victimes des attaques aériennes britanniques. L’écrivain de Kaliningrad Evgeny Grichkovets proposa alors d’élever un monument aux habitants de Königsberg morts pendant la guerre :
C’étaient en effet des hommes et des femmes auxquels la guerre, les attaques aériennes britanniques et les combats de rue lors de la prise de la ville ont infligé des souffrances indicibles. […] Nous, actuels habitants de cette ville, sommes fiers de vivre à Kaliningrad/ Königsberg et de notre « spécificité ». Cette spécificité tient à l’appellation de Königsberg, qui a été la sienne pendant près de sept cents ans. Beaucoup d’entre nous vivent dans des maisons qui ont été construites par des hommes qui sont morts pendant la guerre. […] Il est clair que nous leur devons respect, mémoire endeuillée et sympathie. Si nous honorons cette dette, nous nous réconcilions avec l’Histoire et avons une légitimité accrue à vivre dans notre ville (21).
Nikolaï Dolgatchev, en revanche, estima erroné de faire de la découverte des cadavres un motif pour l’érection d’un monument et motiva ainsi sa position :
On pourrait se demander […] dans quelle mesure la population civile allemande de l’époque était impliquée dans les événements historiques. D’après notre historiographie — et celle-ci s’accorde à ma propre opinion —, la population civile ne saurait être dissociée des événements en Allemagne au cours des années 1930. Tout le monde sait qu’Hitler est arrivé au pouvoir de façon légale, au terme d’élections. Et en Prusse orientale, on s’est enrôlé massivement et par une libre décision dans les SS et le Volkssturm (22).
Kant n’est pas seul à être enterré à Königsberg. Reposent également, et sont ensevelis dans cette terre, des millions d’hommes qui, au cours des siècles, sont nés, ont vécu et sont morts soit à Königsberg, soit en Prusse orientale. Étaient-ils tous fascistes ? Les cimetières allemands ont été détruits et nivelés au début de l’époque soviétique. Mais les hommes et les femmes qui vivent aujourd’hui dans ce pays peuvent-ils faire comme si personne avant eux n’y avait vécu ?
Beaucoup d’habitants de Kaliningrad s’intéressent à l’histoire de leur patrie. Les touristes aussi venus de l’intérieur de la Russie cherchent à Kaliningrad les traces de Königsberg. Ils achètent des reproductions miniature en ambre du château avec l’inscription Königsberg, des cartes postales et des magnets avec des vues de Königsberg. La culture de Prusse orientale est toujours mieux mise en lumière. On restaure à Gvardeisk (jadis Tapiau) la maison natale du peintre Lovis Corinth ; à Kaliningrad, on présente, à la galerie d’art de l’État sur le Moskovski Prospekt, des œuvres des sculpteurs de Königsberg Stanislas Cauer et Hermann Brachert, tandis que le Musée des Beaux-Arts consacre une exposition permanente à E.T.A. Hoffmann. Le 22 avril 2024, on fêtera dans la ville russe de Kaliningrad le 300e anniversaire de la naissance du philosophe allemand Kant, le plus illustre fils de Königsberg. Kant et Königsberg sont inséparables. C’est la raison pour laquelle on ne réussira pas à fêter à cette date « Kant et Kaliningrad ». L’esprit de Königsberg ne se laisse pas chasser.
Il serait au demeurant malavisé de la part de l’Occident de prier le président Poutine, qui s’est tellement investi en faveur de Kant, de rendre son nom historique à la ville natale du philosophe. Toute immixtion occidentale se heurte à une résistance en Russie. Il suffit de se fier à la force inhérente à l’histoire et à la conscience toujours plus vive qu’ont les habitants de Kaliningrad, qui aujourd’hui déjà se sentent concitoyens de Kant, de vivre dans la ville natale de Kant, Königsberg, que leurs grands-pères ont conquise en 1945.
Le 300e anniversaire de la naissance d’Emmanuel Kant, en avril 2024, est un événement de portée non seulement européenne, mais mondiale. 2024 devrait être déclaré par l’unesco année Kant, et Königsberg capitale culturelle de l’Europe. C’est l’affaire des seuls Russes de décider s’ils veulent utiliser l’année Kant pour rendre à la patrie du philosophe son nom historique, celui qui est inscrit sur la décoration qu’ont portée leurs grands-pères : pour la prise de Königsberg. Peut-être les petits-enfants et arrière-petits-enfants des vainqueurs pourront-ils, pour le 300e anniversaire de Kant, prendre Königsberg une seconde fois, non pas avec des kalachnikovs et des canons, mais avec les forces de l’esprit.
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(1) Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, texte traduit et annoté par Pierre Jalabert, in Œuvres philosophiques, III Les Derniers écrits, Gallimard, 1986, p. 940.
(2) Immanuel Kants Sämmtliche Werke, éd. Karl Rosenkranz et Friedr. Wilh. Schubert, Première partie, Leipzig, 1838, p. XXIV.
(3) Karl Rosenkranz, Königsberger Skizzen, Danzig, 1842, réimpression de 1972, p. 64-69, passim.
(4) Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, Préface de la seconde édition (1787), traduction Jules Barni, Édition G. Baillière, Paris, 1869, https://fr.wikisource.org/wiki/Critique_de_la_raison_pure/Pr%C3%A9face_de_la_seconde_%C3%A9dition
(5) Voir l’article du Dr Dierk Loyal, Immanuel Kant in Judtschen, http://www.freunde-kants.com/attachments/article/128/Text12213.pdf
(6) Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuelle. Esquisse philosophique, Texte et traduction de J. Gibelin, Paris, 1999, p. 133
(7) Emmanuel Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, in : Opuscules sur l’histoire, traduction par Stéphane Piobetta, Paris, 1990, p. 81.
(8) W. J. Lawrence, No. 5 Bomber Group R.A.F. (1939 – 1945), Portway, Bath, 1970, p. 230-231
(9) Gerfried Horst, Die Zerstörung Königsbergs. Eine Streitschrift, Berlin, 2014, p. 152-153.
(10) Max Hastings, Bomber Command, Londres, 1979, p. 225.
(11) Andrzej Mencwel, Kaliningrad, mon amour, traduction du polonais en allemand par Olaf Kühl, Potsdam, 2008, p. 49
(12) B.H. Liddell Hart, The Revolution in Warfare, Londres, 1946, p. 75
(13) Viviane du Castel, De Königsberg à Kaliningrad, Paris, 2007, p. 87
(14) Voir l’article de Gerfried Horst, « Königsberg – Kaliningrad. La recherche de l’identité », traduit de l’allemand par Stéphane Michaud, in Po&sie, n° 120, p. 71 et suiv.
(16) Pour le texte original russe voir: https://iphras.ru/russ_kant_stenogr.htm (traduit du russe par l’auteur)
(17) Medinski V.R., Voina. Mify SSSR. 1939-1945. Moscou, 2011, p. 658 (traduit du russe par G. Horst)
(18) Ibid.
(19) L’ancienne direction centrale de la police de Königsberg (note de G. Horst)
(20) http://rugrad.eu/afisha/news/nikolay-dolgachev-k-chertovoy-materi-korolevskiy-zamok/ (traduit du russe par G. Horst)
(21) Cité in Königsberger Express, n° 4, avril 2017, p. 12.
(22) Ibid.
© Gerfried Horst
(Article publié dans la revue PO&SIE numéro 160-161, pp. 241-251)